Ce jour là, j'arrive au stade avec mes élèves. Séance de course de durée. A la fin du cours, après avoir bien travaillé, ils vont se changer. Juste à côté du vestiaire une petite porte est ouverte. Quelques élèves jettent un oeil curieux dans cette "grotte" et s'attardent à l'intérieur. C'est là qu'ils font la connaissance de Bernard... Bernard exerce un métier rare: il est le peintre officiel de la ville de Saint André! Nous étions loin, même très loin de nous imaginer que derrière les affiches annonçant les différents événements culturels, sportifs et festifs de la ville il y avait un peintre en chair et en os!! Bernard explique aux enfants les rudiments de la peinture sur toile, le sens dans lequel il faut passer le pinceau, le temps d'attente entre le passage des différentes couches. L'oeuvre prend forme sous les yeux ébahis des marmailles. Nous devons rentrer au collège mais nous avons revu Bernard à chaque fois que nous sommes revenus au stade et j'avoue que j'ai été très sensible à ce personnage , qui en toute simplicité est capable d'apporter son savoir et sa sagesse à des enfants qui ne demandent qu'à être au contact de modèles comme lui. Ma curiosité m'amènera à le rencontrer plus longuement et à avoir envie de faire connaître cet artiste haut en couleurs... Mon interrogation est la suivante: comment se fait-il qu'en ces temps où le règne de l'individualisme prévaut de plus en plus dans la société , quelqu'un puisse avoir envie de partager son savoir et le transmettre instinctivement, sans connaître les gens qu'il a en face de lui et sans aucun a priori? L'histoire de Bernard et les valeurs qu'il défend expliquent un peu tout ça... C'est qu'il a bourlingué le frère! Il est parti très tôt en métropole pour y "apprendre la vie" dit-il avec philosophie. Bien des étapes se présentèrent face à lui et il n'a pas été toujours facile de les surmonter. La difficulté de la tâche fut amplifiée par le fait qu'il ait tenté cette aventure seul, ne devant compter que sur lui-même. Mais tout ce long chemin professionnel et personnel (10 ans) ne l'aura finalement rendu que plus fort. Et c'est avec un esprit apaisé et plus sûr de ses convictions qu'il revient à la Réunion il y a 25 ans de cela. Ses valeurs il les défend becs et ongles: la franchise, le courage, l'honnêteté. La franchise c'est pour lui de pouvoir communiquer les uns avec les autres sans se mentir. Bernard aime l'authenthicité. Le courage c'est d'aller au bout de ses idées, de ses rêves. Et l'honnêteté c'est le respect de la nature, de ses origines et de son histoire. Comme d'autres Réunionnais, Bernard constate le fossé qui est en train de se creuser entre les hauts et les bas. En bas la culture réunionnaise fout le camp constate-t-il, amère. Il se fait une devise de sensibiliser les jeunes sur leur histoire, pour savoir d'où ils viennent, pour connaître d'où ON vient. Cela nous permet de savoir où l'on va dit-il. La société de consommation est impitoyable, elle nivelle les connaissances, elle universalise le savoir. Et elle nous éloigne de la nature. Mais Bernard ne croit pas que les hommes n'ont aucun pouvoir sur cette évolution-là. Et c'est pour ça qu'il continue de sensibiliser les jeunes à leur pouvoir de citoyen, notamment en encadrant des ateliers de peinture murales. Son objectif est de faire passer les jeunes du graffiti, lâché à chaud et en réaction, au graff qui est l'expression artistique de ce que les jeunes ont à l'intérieur d'eux même. Conscient qu'il est un modèle pour beaucoup de jeunes, il répond toujours favorablement à leurs sollicitations lorsqu'ils lui demandent de venir leur apprendre tous les secrets de l'utilisation des bombes le week end. C'est un peu la galère pour s'acheter des bombes de qualité et il est dommage qu'il n'ait pas plus de soutien des autorités locales. Le coût d'une bonne bombe est de deux euros, mais il faudrait les faire venir de métropole en attendant l'ouverture d'une boutique à Etang Salé. Et le budget, ça c'est le plus difficile. Pourtant on se dit qu'avec pas grand chose ces jeunes peuvent construire des montagnes.... Les souffrances que beaucoup d'entre eux portent pourraient facilement se transformer en énergie positive et constructive. Avec le graff on pourrait décorer la ville, mettre de la couleur dans Saint André, "ça aide à être heureux mon pote!" me lance-t-il. Et cela nous aiderait sûrement tous à mieux apprécier notre ville dont l'état des murs laisse souvent à désirer... Imaginez tous les murs de Saint André recouverts de fresques colorées! A méditer... Merci Monsieur l'artiste en tous cas pour cet entretien et surtout respect, man!!!
voilà une belle rencontre!tu as raison de nous la faire partager, nous sommes bien plus nombreux qu'on ne le croit à avoir soif de "tissage", "métissage", de couleurs et de musiques chaudes et dansantes, de dialogues, de franchise et d'honnêteté, à rejeter cette société de consommation qui VIDE LES COEURS ET LES ESPRITSla Bise ;-)