23 Janvier 2017
6 ans. Cela faisait 6 ans que cette île me faisait rêver, m’appelait, m’interpelait de tout là bas, de l’autre côté de Madagascar. Cette île porte le nom du pays qui la couve. L’île du Mozambique qui se situe au Nord du pays, dans la province de Nampula, est reliée au continent par un pont de 3 kilomètres de long. Elle abrite en son sein un condensé d’histoire qui résonne au quotidien avec La Réunion…
Arriver là-bas produisit donc chez moi une charge émotionnelle énorme tant le chemin pour y arriver navigua entre espérance, patience et humilité. Et mes yeux d’enfant découvrirent un lieu magique, où le temps se fiche des conventions, où l’histoire se télescope avec le quotidien en permanence.
En plus de mes recherches, le livre de Jordane Bertrand « Cette petite île s’appelle Mozambique » m’a accompagné durant les 24 heures de voyage nécessaires pour y arriver depuis La Réunion. Il aura éveillé ma curiosité et lorsque je m’arrête devant la statue du poète portugais Luis De Camões je saisis la portée de ses écrits par la description juste et sincère qu’elle a faite de son histoire.
Mais la pension de Dona Flora est malheureusement fermée. Je séjournerai au Mooxeleliya tout près de là au coeur de la ville de pierre. Car l’île qui mesure 4 kilomètres sur une largeur de 400m maximum est bel et bien divisée en 2 mondes. La partie Nord a été érigée par les Portugais avec les pierres de corail et de la chaux lors de la création de ce comptoir sur la route des Indes. 90% des habitants sont pourtant cantonnées à la partie Sud, le Makuti. Les habitations y sont faites de bois et de palmes, les plus riches ont un toit en tôle, mais la difficulté de la vie est permanente. Il faut laver les latrines à l’eau de mer, l’eau courante fait défaut, les fruits sont tous importés du continent, les prix augmentent parfois du simple au double, un vrai ballon de football est un trésor sur ce bout de terre pourtant patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991…
Et pourtant…. Et pourtant….. les ressources de l’île sont nombreuses….
Une densité historique exceptionnelle
On ne sait pas si les expéditions chinoises arrivèrent sur l’île bien avant tout le monde, car à part les récits de Zheng He au début du XVème siècle, peu d’écrits subsistent de ces grandes aventures maritimes. Ce qui est certain, c’est que les premiers navigateurs qui s’installèrent furent, dès le VIème siècle, les navigateurs arabes venant du Nord qui investirent les côtes mozambicaines pour y établir des comptoirs permettant d’exporter de l’or du Monomotapa, des esclaves, des écailles de tortue, de la cire d’abeille, de ambre ou des coquillages précieux. Cette expansion arabe dépendait alors du sultanat de Kilwa. Les mariages de ces commerçants avec les femmes des tribus maures (commerçants africains historiques) donnèrent naissance à la culture Swahili, bien présente dans tout le reste du canal (Comores, Mayotte, Madagascar, Tanzanie). Et ce sera donc avec cette noblesse swahilie que les Portugais devront négocier lorsque Vasco de Gama débarque en 1498… Cette fois-ci le commerce s’oriente vers l’or et surtout les esclaves, envoyés en Inde, au Brésil ou dans l’Océan Indien. C’est lorsque la demande d’esclaves cessera à l’indépendance du Brésil en 1822 que le commerce s’orientera alors exclusivement vers les îles françaises et anglaises de la zone. Être sur l’île, c’est ressentir cette histoire en vrai, être sur le quai où débarquaient les esclaves du continent, où ils étaient rembarqués pour d’autres territoires, les fosses où ils étaient entassés, les cellules où ils étaient parqués. C’est voir les maisons dans lesquelles vivaient le colonisateur, comprendre la réalité de cette époque, avoir du mal à imaginer que l’homme soit capable de telles ignominies, mais aussi comprendre que l’histoire ne s’est pas arrêtée là.
La couronne portugaise règnera encore bien longtemps ici et fera même de l’île la capitale du pays jusqu’en 1898 où elle fût transférée à Lourenço Marques (aujourd’hui Maputo). L’indépendance du pays en 1975 sonnera le glas pour ce petit territoire abandonné par les autorités, les habitants payant ainsi leur engagement mesuré dans les luttes du FRELIMO pour s’affranchir du joug portugais et leur prétendue collaboration avec l’ancien colonisateur.
A l’écart du monde
Aujourd’hui c’est un musée à ciel ouvert qui s’offre aux yeux du visiteur que je suis. J’arpente les rues avec José, jeune étudiant en histoire à Nampula, qui ne tarit pas d’explication sur le passé et le présent de son île. Le commerce principal est la pêche. Lui a voulu montrer que d’autres voies de réussite sont possibles même si quitter famille et amis n’est pas toujours chose aisée. Le grand monde fait peur. Les gens ne veulent pas aller vivre à Nampula, ville où l’on peut se faire détrousser à chaque coin de rue disent-ils. c’est sûr que l’agitation qui y règne n’a rien à voir avec ici. Très peu de véhicules déjà. Tout le monde se déplace à pied ou à vélo. Les moments forts sont la pêche le matin, l’entretien des rues lorsqu’une petite armée de femmes employées par la mairie nettoie les rues au balai coco et la prière du Vendredi à la mosquée. Les vacances scolaires drainent les nombreux enfants vers les plages où la quiétude des lieux leur procure un cadre de vie idyllique, proche de la nature. Une vie simple que défendent becs et ongles les habitants.
Ainsi, par exemple, lorsque des archéologues allemands vinrent fouiller les épaves autour de la côte, les cheiks et les notables se réunirent et leur signifièrent qu’ils n’avaient pas à piller ainsi le patrimoine historique de l’île. Les allemands repartirent avec des biens certes, mais sans doute pas autant qu’ils l’auraient souhaité. Les étrangers n’ont jamais vraiment pensé à la population à vrai dire. Pas d’eau courante, électricité intermittente, internet défaillant, écoles aux moyens dérisoires, même plus d’hôpital digne de ce nom. La majorité des investisseurs qui souhaitent faire avancer les choses se heurtent à l’inertie administrative et une méfiance logique de la population. Pourtant quelques action peuvent faire avancer les choses.
Pendant quelques années entre 2002 et 2012 le festival de baluarte da ilha regroupait toutes les musiques et les cultures de l’Océan Indien. Les Comores, Mayotte, Madagascar ou La Réunion se retrouvaient à un carrefour géographique de leur histoire pour un moment fort de vie et de partage. Aujourd’hui, plus de crédits, plus de festival. Il en va de même pour le tourisme. les moyens d’accès sont tellement contraignants qu’il faut venir ici par conviction profonde et ce ne sont pas les 3 ou 4 bateaux de croisiéristes annuels qui permettent à la population de s’en sortir décemment. Et pourtant…..
Une douceur de vivre
Prendre une petite bière sur le « pontão » (ponton) le soir au coucher du soleil, discuter avec Amalia l’ancienne capitaine du port qui ne supporte plus les Chinois ces nouveaux pilleurs, écouter « Aranha » (l’araignée car il arrêtait tous les ballons dans ses buts de foot) nous bercer avec ses compositions en Makua et « Harry Potter » jeune guide et artiste qui l’accompagne, il fait bon vivre sur l’ilha… Les lumières du matin éclairent le front Est des côtes, son petit marché le Lundi où quelques tomates, mangues ou piments séchés font ces petits bonheurs du quotidien pour épicer un des plats typiques de la région influencés par l’Afrique, l’Inde et le Portugal. Une cuisine métissée comme la langue qui n’est pas la même que sur le continent. La chaleur pesante de 7h00 à 15h00 n’autorise que peu d’activités extérieures, la vie s’organise avec le soleil.
Je resterai une semaine entière sur l’île et aurait en plus le bonheur d’y croiser ma pote Clou au détour d’une ruelle. on se rencontre en 2007 aux chutes d’Iguaçu en Argentine et on se retrouve 10 ans plus tard sur ce minuscule bout de terre. Le monde est bien petit…
Epilogue
C’est avec regret que je quitterai donc cette terre où je me suis senti comme chez moi, ressentant la satisfaction d’avoir pu encore mieux comprendre La Réunion en m’y étant rendu. Et c’est ici de façon symbolique que s’est achevé mon rêve éveillé qui aura duré 4 mois. Merci à vous qui m’avez suivi pendant ces pérégrinations, le site sera évidemment moins fourni ces prochains temps car je vais reprendre le travail en Février, et j’ai surtout un travail de tri et de développement photo très conséquent!
Un grand MERCI à tous et particulièrement à Mickaëlle qui a accepté et supporté mes vadrouilles répétées, et surtout, continuons de rêver!!!