5 Décembre 2016
Comment parler de ce voyage? Comment trouver des mots, qui de toutes façons, ne suffiront jamais à décrire les émotions, les odeurs, les sons ressentis au cours de cette rotation « OP3 » du Marion Dufresne dans les Australes? Je ne le pourrai pas. Mais je vais essayer de partager avec vous un petit peu de mon ressenti sur une expérience qui restera à jamais au plus profond de mon être, et d’abord pour les rencontres avec ces hommes et ces femmes qui font partie d’une France que j’aime, d’une France qui partage, qui s’entraide, qui cherche et qui ambitionne de ne rester qu’à sa place, à la place des grands hommes, ceux qui savent que l’on fait partie d’un tout et que sans cette nature hostile mais essentielle, nous ne sommes rien.
Les rencontres
Marins, cuisiniers, hivernants scientifiques et volontaires en botanique, sismologie, ornithologie ou spécialistes du milieu marin, techniciens, médecins, administratifs, militaires, experts de l’agence spatiale européenne, de Météo France ou du centre d’énergie atomique, voyageurs payants et bien d’autres encore, les gens rencontrés pendant ce voyage viennent de l’IPEV, des TAAF, de laboratoires de recherches, travaillent pour la CMA CGM ou HELILAGON, mais tous ont une histoire en commun: le Marion. Le bateau est le trait d’union entre chaque district et le lieu de toutes les rencontres. Là où elles démarrent, là où aussi elles se terminent lors des escales ou lors du retour à La Réunion. L’humain n’a qu’une famille et même si l’organisation est bien huilée sous la houlette des différentes hiérarchies chacun est abordable, simple et ose volontiers sortir du carcan de l’organigramme lorsqu’une occasion de passer un bon moment ensemble se présente. C’est un de ces voyages qui vous donne foi en l’être humain, dans tout ce qu’il a de positif en lui. Je ne compte pas les relations qui je l’espère dureront toute la vie avec certaines personnes qui se donnent sans compter à l’autre, sans faux semblants, sans tous ces codes archaïques et superficiels que la société de consommation voudrait bien nous faire adopter. Ici point de moutons. Tout le monde a suivi un long chemin souvent semé d’embûches pour se retrouver sur ce bateau et côtoyer le monde subantarctique au plus près, et chacun a choisi avec force d’être là à ce moment là, malgré les sacrifices que cela engendre, comme vivre loin de sa famille parfois pendant 16 longs mois. Si quelques unes de ces belles âmes me lisent, qu’elles soient remerciées d’être ce qu’elles sont, je ne les oublierai jamais.
Les mers du Sud
Après le passage de la convergence subantarctique, celle où les eaux passent d’une vingtaine de degrés à seulement 4 ou 5, les oiseaux marins font la parade autour du Marion. Les pétrels à menton blanc sont les premiers et les grands albatros hurleurs suivent quelques heures ensuite. Ils sont les sentinelles des mers (ils abritent l’âme des marins…) et nous accompagneront pendant tout notre séjour dans ces eaux. Eux, mieux que personne, ont vu l’Océan Austral sous toutes ses coutures, et pour l’apprenti marin que je suis, quel régal de se trouver dans des creux de 7 mètres avec des pointes à 60 noeuds… La mer n’est jamais la même, elle change ses teintes et ses formes en permanence. Le vent peux monter ou faiblir en quelques minutes, les grains suivent le même principe. Les embruns peuvent monter en trombe et recouvrir le gaillard d’avant du bateau sans prévenir. Le bateau suit. Il ondule avec un roulis réglé comme une horloge. Il aime le gros temps comme dit Hugues, il est fait pour ça. L’horizon apparaît et disparaît régulièrement à travers les fenêtres du bateau. Je n’ai jamais été malade, le Marion est la Rolls des grosses mers, les albatros le savent…
La géologie
Les paysages des îles furent une grosse claque pour moi. On peut voir des centaines de films, des milliers de photos, jamais je n’aurais pu imaginer comme la géographie de ces territoires vous prend aux tripes. Ces mondes sont des planètes à part entière, ils imposèrent à mon regard un exercice dont je raffole: le respect. Il faut en observer chaque vallon, chaque col, caque lichen. Il oscille de l’infiniment petit à l’immensément grand en l’espace de quelques instants. C’est lui qui bloque ou laisse passer les nuages, oriente le vent, fait s’écouler les rivières. Il résiste, subit les assauts de l’érosion depuis les confins de ses origines volcaniques, mais jamais il ne rompt. Il protège les animaux, offre aux oiseaux des falaises secrètes ou des plateaux herbeux pour offrir à chacun le site idéal de reproduction. La nature suit son cours ici depuis des millénaires, et ce n’est pas l’homme qui réussira à perturber cet équilibre. Pas les hommes qui y séjournent en tous cas. Pas ceux là. Mais l’HOMME, lui? A-t-il conscience que ses actions à des milliers de kilomètres d’ici perturbent cet ensemble? Que la vitesse de la fonte des glaciers de Kerguelen n’a jamais été aussi rapide? qu’une augmentation d’un dixième de degré sonne le glas d’un espèce de plante et en fait apparaître une nouvelle qui jusqu’ici n’avait pas le droit de cité? Non bien évidemment. L’homme est son propre prédateur et la vitrine de son oeuvre de destruction massive se situe ici. Ces territoire sont les zones d’alerte de la lente destruction de notre équilibre. Une réaction aura peut être lieu à force de sensibilisation, grâce à vous qui lisez ces lignes, grâce à toute cette jeunesse des Australes et d’ailleurs qui elle, sait, transmet. Tous les moyens sont bon. Le monde évolue avec des idées, et elles ne manquent pas.
Une évolution des mentalités.
Qu’il est loin le temps de la chasse à la baleine aux Kerguelen ou celui des illuminés de l’élevage qui amenèrent leurs cochons ou leurs vaches pour faire fortune à 3000 km de la terre la plus proche. Les hommes essaient de corriger ce qui peut encore l’être. Il n'y a plus de bétail sur les îles, plus de rats à Amsterdam, plus de pêche dérèglementée dans les Zones Economiques Exclusives des Australes… Mais il reste les lapins à Kerguelen, les rats à Crozet et Amsterdam, le pissenlit et le travail est encore important… La prise de conscience, et encore davantage avec la création de la réserve naturelle en 2006, s’opère tout doucement. Il reste encore beaucoup à faire mais la gestion des déchets, de l’eau potable comme le sytème de récupération et de traitement des eaux de pluie à Amsterdam sont autant de signes que les choses avancent. Il ne faut juste pas que ces terres restent sous cloche. Le monde doit voir. Ces terres doivent encore davantage s’imprégner au pire dans l’âme de chaque citoyen français, au mieux de chaque être humain comme chacun des espaces sensibles sur notre planète.
Des être vivants hors du commun
Pour moi, simple mortel, observer les oiseaux de mer, les manchot ou les éléphant de mer fût un véritable régal, autant pour la vie hors du commun qu’ils mènent que pour les images poétiques qu’ils m’ont permis de faire. J’ai aussi apprécié de découvrir des plantes venues d’un autre monde comme l’azorelle, l’açaena ou ces lycopodium de Crozet qui forment des mini forêts enchantées. Tel nombre d’espèces n’est pas très important ce qui facilite leur identification pour le profane que je suis. La disponibilité des scientifiques et la passion qui les anime lorsqu’ils détaillent leurs recherches sur les lichens ou les albatros m’ont appris énormément. Mon cerveau s’est délecté d’être stimulé ainsi cela fait énormément de bien de sortir de mes centres d’intérêt quotidiens de prof d’EPS. Je le conseille à tout le monde. Je ressors de ce voyage avec une richesse inestimable et une ouverture d’esprit entre décuplée. Merci à eux.
Des lumières d’une pureté exceptionnelle
Pour un photographe, promener son objectif dans ces contrées est un pur régal. les lumières guident le regard vers l’évidence. Mes choix photographiques se sont affinés et renforcés. Les australes sont une invitation à la méditation contemplative. De voir cette nature brute et originelle danser sous mes yeux m’a provoqué des entorses de la rétine quotidiennes! Plus qu’une description précise de chaque lieu et de chaque espèce photographiée, je vous propose de la couleur pour illustrer cet article, mais c’est vers le noir et blanc que le gros de mon travail s’est orienté, avec la découverte du montage de panoramas, merci à Florian, Mickaël et Stan de m’y avoir initié. Vous pourrez découvrir mes galeries petit à petit sur mon portfolio. Je vous souhaite à tous un merveilleux voyage photographique, puisse-t-il vous aider à réaliser vos rêves les plus fous comme celui que je viens de vivre…
A très vite pour de nouvelles aventures africaines…